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De l’être
Lavelle : Introduction à la dialectique de l’éternel présent
Louis Lavelle
quinta-feira 28 de agosto de 2014
Extrait de « DE L’ÊTRE », Louis Lavelle. Aubier, 1947
Introduction à la dialectique de l’éternel présent
Derrière cette néantisation apparente destinée à fonder l’être du pour soi, il y a une démarche qui est bien familière aux philosophes et à laquelle Descartes a donné une forme particulièrement saisissante, mais qui reçoit ici un sens opposé à celui qu’il avait voulu lui donner. Nul mieux que Descartes n’a marqué comment le cogito lui-même se fonde non pas seulement sur le doute, mais sur cet anéantissement du monde qui n’en laisse subsister que la pure pensée, et qui en réalise en quelque sorte l’absence. Mais ce n’était pas pour introduire le néant au cœur de la conscience (bien qu’elle se détermine elle-même comme finie dans sa relation vivante avec l’infini); c’était au contraire pour lui donner accès dans l’absolu de l’être par la possibilité qu’elle a de se mettre au-dessus de tous les phénomènes et même de les nier en vertu précisément de l’ascendant ontologique qu’elle a sur eux; et c’est en eux qu’elle nous découvre cette insuffisance d’être, ou cette part de néant, qui fait que l’être même qu’ils possèdent leur vient d’ailleurs, du moi ou de Dieu, et qu’il a toujours besoin d’être ressuscité.
On conviendra que la philosophie de l’existence a le grand mérite de fonder l’existence sur la liberté [On remarquera que cette philosophie de l’existence est comme uns ellipse à deux foyers : car tantôt il semble que c’est l’en soi qui apparaît comme exprimant le fond même de l’être, tantôt il semble que c’est la liberté, qui pourtant suppose cet en soi qu’elle néantise. Mais il suffirait de partir au contraire de la liberté comme du seul et véritable en soi pour que l’en soi dont le phénomène nous révèle et nous cache la présence ne fût plus qu’une chimère. Nous nous trouverions ainsi amenés à passer de l’en soi transphénoménal à un en soi en quelque sorte cisphé-noménal. Et la réduction de l’être à l’acte permettrait de considérer le phénomène comme exprimant dans la liberté à la fois sa manifestatior et sa limitation.] en faisant, il est vrai, non point proprement de l’existence « un défaut du néant », mais de la liberté elle-même une sorte d’irruption du néant dans l’être. Dès lors on n’éprouvera pas de peine à accorder que l’existence elle-même précède l’essence, au lieu d’être fondée sur elle et d’en être seulement la forme manifestée. Car on acceptera à la fois l’identité de l’existence et de la liberté, et la primauté de l’existence par rapport à l’essence, mais à condition de résoudre certaines difficultés qui sont inséparables de ces deux thèses : car on demandera comment cette liberté est engagée elle-même dans une situation, ce que l’on ne peut expliquer qu’en faisant de la liberté et de la situation les deux aspects corrélatifs de l’acte de participation. De plus, on ne se laissera pas arrêter par cette affirmation que c’est cette liberté absolue que Descartes prête à Dieu qu’il faut attribuer à l’homme, car, bien que Descartes lui-même ait soutenu que la liberté est indivisible et qu’elle est en nous ce qu’elle est en Dieu, toutefois il ne faut pas oublier qu’elle n’est pas associée en Dieu à une nature, qu’elle n’est point affrontée en lui comme en nous à des possibles dont il semble qu’ils viennent d’ailleurs et entre lesquels on peut dire qu’elle aura à choisir, mais sans qu’il lui appartienne de les créer. Car si l’on ne demande pas quelle est l’origine de la liberté, qui est toujours le premier commencement d’elle-même, on peut du moins demander quelle est l’origine de ces possibles qui lui sont offerts et qui remplissent l’intervalle qui sépare la liberté divine de la nôtre.

